TÉMOIGNAGE
J’ai parfois entendu parler négativement de la génération qui précède celle des babyboomers. Personnellement, je trouve que plusieurs d’entre eux ont trimé dur pour gagner leur vie et nous procurer le confort que l’on a aujourd’hui. Je trouve important de rendre justice à ce qu’ils ont été et à ce qu’ils ont fait. Je le ferai en racontant quelques faits dont j’ai été témoin et qui m’ont édifiée.
LA PART DU QUÊTEUX
Avant l’arrivée du programme d’aide sociale au Québec, il y avait des gens sans emploi qui mendiaient de maison en maison pour assurer leur subsistance et qu’on appelait «quêteux».
Mes parents, très accueillants, acceptaient de recevoir ces mendiants même si nous étions déjà dix dans la maison. Ils étaient trois à passer, parfois plus d’une fois par année, à tour de rôle, pour demander la charité. Sans revendications, ils la demandaient pour l’Amour de Dieu.
Nous étions heureux, nous les enfants, d’accueillir ces étrangers qui, parfois, racontaient des histoires ou des anecdotes de leur vie.
Un jour que des oncles et tantes se trouvaient à la maison, un de ces mendiants se présenta pour demander à dîner. Même si ma mère était déjà occupée avec sa visite, il n’était pas question pour elle de refuser sa demande. Elle lui trouva une place sur une petite table aménagée sur le balcon afin qu’il ne soit pas gêné. Mes tantes et oncles lui demandèrent: «Pourquoi fais-tu cela, tu n’as aucune obligation envers eux et tu as beaucoup de travail. Elle leur répondit: «C’est tout ce que j’aurai à offrir au bon Dieu quand je vais mourir».
Ma mère avait fait sienne cette parole de l’Écriture dans saint Mathieu 25, 34-36, 40:
«Venez, les bénis de mon Père: prenez possession du royaume qui vous a été préparé dès la création du monde. Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli; nu, et vous m’avez vêtu. […] En vérité, je vous le dis, chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.»
Lors du passage des quêteux, ma mère leur offrait de laver leur linge et quand ce qu’ils portaient était trop usé, elle le remplaçait par des vêtements de mon père ou de l’un de mes frères.
Je me rappelle qu’une journée de tempête d’hiver, elle avait offert à l’un d’eux qui s’était présenté de revenir pour coucher après sa quête au village. Nous avions un lit pliant et des couvertures spécialement pour eux.
L’un d’eux cessa de quêter à l’âge de 65 ans car il recevait désormais sa pension du gouvernement. À l’exemple du lépreux qui revint remercier Jésus après avoir été guéri, il revint à la maison pour remercier ma mère de l’avoir accueilli à chaque fois qu’il s’était présenté, pendant 13 ans.
Rose Belisle
Vibrant témoignage que celui de votre mère. Moi aussi Rose, mes parents étaient de cette génération. Et comme vous le dites, ils ont «trimé dur pour gagner leur vie». Je me souviens du passage d’un quêteux à la maison. À travers toute sa besogne, ma mère prenait vraiment le temps de l’accueillir. Celui-là cependant ne racontait pas d’histoires drôles pour amuser les enfants. Nous le sentions à la gêne et il repartait rapidement après avoir mangé. Nous étions autour, silencieux et respectueux.
Je passe maintenant à ce petit bout de phrase de votre mère: «C’est tout ce que j’aurai à offrir au bon Dieu quand je vais mourir». Si le quêteux n’avait pas été là… J’aurais aimé connaître davantage votre mère sur d’autres aspects. Je suis certaine Rose qu’elle a offert bien des choses à Dieu à travers sa vie de famille. Et pour l’époque dans laquelle nous vivons, comment voyez-vous nos façons à nous d’offrir quelque chose à Dieu puisque les quêteux ne sont plus là pour solliciter notre générosité?
Pour répondre à votre dernière question Joséphine, je dirais qu’au contraire, il y a de plus en plus de quêteux autour de nous qui ont besoin d’aide. Le plus dur c’est de savoir comment les aider (parce qu’on peut facilement se demander ce qu’ils vont faire de notre argent. Mais, ça c’est pas à nous de juger). Plus d’une fois, je suis passée à côté de quelqu’un qui tend la main pour de l’argent et que je me demandais si j’avais quelque chose à lui donner. Quelque fois, j’y pensais d’avance et mettais quelques sous dans ma poche pour pouvoir les distribuer. D’autre fois, j’offrais un fruit qui était dans mon lunch. Ça, c’est pour les quêteux d’argent… Aujourd’hui, je voyais sur la page couverture de l’Actualité un dossier sur le « mal de vivre »: dépressions, burn-outs, angoisses, stress… il y a plein de quêteux d’un autre genre autour de nous et je pense que c’est de cette façon qu’on est appelés à donner généreusement.
Merci pour votre commentaire Joséphine!
À vrai dire, il y avait seulement un des trois quêteux qui parlait. Peut-être parce qu’il voyageait beaucoup: il avait des anecdotes à raconter. Il s’intéressait aussi à la politique et il en discutait avec mon père. Nous aurions aimé que les deux autres fassent la même chose mais ils étaient plutôt silencieux.
Pour répondre à votre question, ma mère offrait à Dieu ses actions de chaque jour, ses joies et ses difficultés. Elle nous disait aussi que parfois elle se surprenait elle-même en train de dire des « Notre père » et des « Je vous salue Marie » en faisant ses tâches quotidiennes. Le quêteux était pour elle une occasion de plus de rendre service à quelqu’un.
Ma mère était accueillante, conciliante et réconciliatrice. Elle avait une joie de vivre et savait la communiquer. On peut dire qu’elle était une personne qui rassemble.
Pour répondre à votre seconde question, aujourd’hui, comme autrefois, nous avons maintes occasions d’exercer notre générosité, en premier avec les gens de notre propre maison puis avec ceux et celles que nous côtoyons chaque jour. Parfois, ça peut être de dire une parole encourageante ou tout simplement d’écouter quelqu’un, ou de l’aider dans un travail à faire, selon son besoin. En fait, tout peut s’offrir à Dieu.