L’hiver dernier, je suis allé voir le film Big miracle qui relate le sauvetage de baleines prisonnières des glaces au nord de l’Alaska en 1988. Incapables de rejoindre l’océan à cause de la formation précoce de glace, trois baleines grises – les parents et leur baleineau – sont condamnées à mourir. Un journaliste local saisit l’occasion de faire un bon reportage. La nouvelle porte loin. De bulletin en bulletin elle est retransmise sur les grandes chaînes nationales, si bien que bientôt tous les États-Unis sont en émoi.
Des chasseurs inuits connus du journaliste proposent de les abattre pour que leur peuple bénéficie de leur chair. Mais le journaliste le leur déconseille en disant grosso modo: «Je comprends vos traditions, mais la population américaine n’y verrait qu’un horrible massacre.»
Le Président même finit par s’en mêler, si bien qu’en recourant à des moyens extraordinaires, dont un énorme brise-glace soviétique, deux baleines finissent par être libérées; le baleineau n’a pas survécu.
Le film m’a laissé songeur. Le sauvetage a réussi: tant mieux pour les baleines. L’événement fut aussi l’occasion d’éprouver et d’améliorer les moyens de sauvetage dans des conditions difficiles. Mais à bien considérer le caractère périlleux de l’opération –notamment la traction d’une barge par des hélicoptères –, ainsi que sa complexité et son coût, je me demande si la solution proposée par les Inuits n’était pas la meilleure dans les circonstances.
Les autochtones ont toujours eu un rapport étroit, vital même, avec la nature. Ils tirent d’elle ce qui leur est nécessaire en lui témoignant une forme de respect, de reconnaissance. Kateri Tekakwitha n’a pas fait exception, à cette nuance près que dans son cheminement elle a réussi à identifier l’objet de sa reconnaissance, «Rawenniio», qui veut dire «Dieu».
Dans sa biographie de la jeune Amérindienne (comme vous voyez, j’ai commencé à apprendre le japonais…), Rachel Jodoin la présente régulièrement en train de transformer des matériaux tels des écorces pour différents besoins. Elle préparait le gibier et se retirait souvent dans la forêt pour prier et remercier Dieu pour tous ses dons.
Un don. C’est probablement ce que les Inuits d’Alaska voyaient dans les trois baleines prisonnières malgré eux et malgré elles; «un don de Rawenniio», aurait dit Kateri. Pour elle, les abattre serait revenu à un acte de prélèvement sur ses largesses.
Nous sommes loin du massacre. D’ailleurs, vous conviendrez je pense que les peuples amérindiens ne sont pas les principaux responsables de la dégradation de nos milieux naturels. Cependant il est légitime à l’homme d’exploiter ces mêmes milieux pour subvenir à ses besoins. Comment discerner la juste mesure entre conservation et exploitation?
En découvrant Rawenniio, Kateri a trouvé des réponses sur le sens de sa propre existence et du monde créé par lui. Ne serait-il pas logique de trouver du même côté le discernement quant à son usage? Ce serait vraiment un beau «big miracle».
Patrick Trottier
Je trouve votre approche très judicieuse. Je crois effectivement qu’il faut remettre à Dieu ce qui nous vient de Dieu, et Lui rendre grâces pour tout ce qu’il nous donne. On oublie facilement le Créateur de toutes choses, le Maître de l’Univers, qui a mis sur terre tout ce dont nous avons besoin. En mettant Rawenniio au centre de notre vie, on « trouvera du même côté le discernement quant à [l’usage] » que l’on fait des choses créées par Lui.
Bonjour Élizabeth et Patrick,
Pensez-vous que Rawenniio, qui a mis sur terre tout ce dont nous avons besoin, est content qu’on puisse utiliser la fourrure animale pour se vêtir?
Bonjour Evelyne,
et pourquoi pas? Il me semble que si il n’y a pas d’abus, se vêtir fait partie de l’utilisation justifiable de ce qu’on a besoin?
@Patrick
J’ai trouvé votre article succulent et plein de bon sens. Curieusement hier le 11 décembre 2012, je suis tombé sur un blogue de Mario Dumont dans le Journal de Montréal. Je n’ai pas l’habitude de lire ce journal à sensations mais bien voilà, question de passer le temps…
J’ai bien pensé à vous à la lecture du texte que je ne peux malheureusement vous référer sur le net (pour abonnés seulement).
Voici donc en gros ce qu’il rapporte. Beaucoup d’environnementalistes sont inquiets de la survie de la couleuvre brune. Cette petite couleuvre a déjà fait parler d’elle à plusieurs reprises dans le cadre de travaux de construction de routes, de ponts et d’échangeurs. Dumont rapporte que lors des travaux sur l’échangeur Turcot, le gouvernement du Québec était prêt à investir jusqu’à 50 000$ par reptile pour la survie d’une quarantaine de couleuvres brunes en voie d’extinction. Bilan de l’opération, 70 couleuvres ont été repérées pour être transportées dans d’autres habitats sur l’île de Montréal. Les coûts se sont élevés à seulement 1000$ par reptile. Faisons le compte… 70 000$. Quand même! Dumont fait cette réflexion: «En santé, les compromis sur les services sont chose courante faute de budget, pas en matière de couleuvres».
Et puis, les couleuvres brunes sont-elles si rares? Je cite: «Devinez quoi? Là aussi [Poste de transport d’Hydro-Québec à Pointe-aux-Trembles] il fallait prendre soin de cet habitat exceptionnel pour la très recherchée couleuvre brune. […] Finalement, une carte du ministère des Ressources naturelles démontre que cette espèce existe au Sud du Québec jusqu’au nord du Mexique… Rareté?» […] Pire encore, on découvre que l’un des principaux prédateurs de la couleuvre est… le chat! Il y en a quelques-uns en liberté à Montréal. […]
Mais l’aventure ne s’arrête pas là, à pas de chats… des études environnementales sont en voie d’être réalisées pour le fameux pont Champlain qui verra le jour dans les années 2020. Le fleuve Saint-Laurent, quel merveilleux habitat pour bon nombre de petites bêtes!
Kateri, Kateri… à l’aide!
Évelyne,
Votre question me fait penser à cet extrait de la Genèse (3,21): «Yahvé Dieu fit à l’homme et à sa femme des tuniques de peau et les en vêtit.» L’évangile de Matthieu (3,4) rapporte aussi: « Ce Jean [Baptiste] avait un manteau de poils de chameau et un pagne de peau autour des reins ».
Je pense que si Dieu revêt l’être humain de peau, il ne doit pas être mécontent que nous fassions de même.
À Élizabeth et Patrick :
Merci, c’est un discernement simple à faire en effet, il me semble.
Et comme Patrick le fait remarquer pour la question du vêtement, il y a aussi des passages dans la bible qui font allusions aux festins de viandes grasses et autres mets de viandes savoureuses.
Mais il y a une lutte d’idées. D’où vient et où mène l’idéologie de ne pas vouloir utiliser la chair et la peau des animaux ni pour manger ni pour se vêtir?
Parfois je pense que c’est pour se donner bonne conscience (car on tue les bébés).
Quand l’animal devient plus important que l’humain, ça devrait nous sonner des cloches…
J’aime beaucoup les animaux et je suis contente qu’on fasse des efforts pour protéger les espèces menacées. Mais que cela ne surpasse pas le bien que nous devons à nos semblables.
À Environ-dire
Votre histoire de coûts pour “sauver” les couleuvres brunes m’a fait frémir. Il y a 2 ans, j’ai aussi été scandalisée en lisant ma revue d’oiseaux préférée.
Il y avait de la sollicitation pour financer le nettoyage des pélicans bruns couverts de mazout en Louisiane :
Coût minimum 5000$ par pélican avec 400L d’eau…
Tout d’abord, M. Trottier, il y a longtemps que nous n’avons eu de vos blogues… J’espère que vous n’êtes pas pris dans les glaces de l’Arctique!
J’ai vu récemment ce film et j’ai trouvé cela un peu « too much » surtout que pour plusieurs personnages, il était plus question de sauver la face ou de faire sensation que de sauver les baleines, mais bon! En fait, ce qui m’a fait « sourire » surtout c’est que ce petit village tout simple et inconnu est devenu en quelques jours une vraie machine à faire de l’argent!
Plus près de chez nous, il y a le Plan Nord. Un projet qui vise le développement de notre territoire et de nos ressources, ce qui est bien, je crois, car nous avons la possibilité d’utiliser ce que nous avons. C’est certain que la machine capitaliste va prendre là-dedans, mais elle prend partout, même dans ma ruelle! Ce qui m’a surtout fait sourire récemment c’est quand j’ai lu dans le journal que finalement, le gouvernement actuel trouvait que c’était une bonne idée… alors qu’il avait tant critiqué et décrié le projet, mis de l’avant par les prédécesseurs. Tiens, tout à coup, on laisse les arguments environnementaux qui faisaient sensation (et qui ont sûrement attiré des sympathisants pour le vote!) et on se rend compte qu’au niveau du développement économique de notre province, c’est un projet qui vaut la peine d’être pris en main… cela amènerait de l’argent (bien sûr), mais aussi une visibilité et un renouveau pour les régions moins développées qui doivent y participer. Après tout, on vend bien sans trop de scrupule notre surplus d’eau « électrifié » à nos voisins alors qu’on a parfois de la misère à fournir notre propre région!
Pour nous aussi, c’est souvent notre ambition qui mène et on oublie alors les autres, tant l’homme que la nature. Demander à cette nouvelle sainte, Kateri, qu’elle nous aide dans la saine gestion de tout ce qui est mis à notre disposition, ce sera peut-être pas du superflu!