Ou fête d’un amphisbène?
Qui ou quoi fêtons-nous au Québec en ce 24 juin 2011? Est-ce la Fête des francophones du Canada, qu’ils soient du Québec ou d’ailleurs, ou bien est-ce une fête nationale québécoise, englobant les Québécois de toutes nationalités, langues, religions, confondues?
Pour les mass médias et aux alentours, il me semble que le 24 juin est actuellement présenté dans cette seconde perspective. C’est d’ailleurs la version officielle. Mais laquelle des deux réalités est la plus signifiante?
Le 19 juin dernier, Mgr Terrence Thomas Prendergast, s.j., archevêque d’Ottawa, s’est exprimé selon la première optique. À la fin de la messe qu’il venait de célébrer dans la Basilique cathédrale Notre-Dame, alors qu’il commémorait le 125e anniversaire de l’érection de ce diocèse, il rappela qu’il y avait encore, bien que minoritaires, bon nombre de francophones en Ontario. Prenant occasion de la fête du 24 juin, il formula de bons voeux destinés à ce groupe de la population. Pas un mot pour le Québec en tant que tel. Bien qu’il n’y était pas obligé par le contexte, ce choix m’a fait sourciller.
Fête des Canadiens français ou Fête nationale du Québec: il y a là une confusion qui échappe probablement à la plupart de ceux qui célèbrent. Pour y remédier, ne faudrait-il pas promouvoir l’idée de deux fêtes différentes? Le 24 juin serait consacré à la célébration, non pas de la francophonie en général, mais bien identifié au fait canadien sous le vocable de «Fête des Canadiens français». Une autre fête pourrait commémorer le fait québécois dans sa modernité; elle serait fixée à une autre date et identifiée selon son sens propre en tant que «Fête des Québécois». Il faudrait aussi un autre drapeau, neutre, c’est-à-dire sans croix, sans fleur de lys, qui sous-tendent un sens religieux. Alors serait satisfaite une plus grande proportion de la population. Les non-croyants seraient respectés dans ce nouveau drapeau de même que les laïcs québécois, neutres dans le sens religieux. Enfin, les Canadiens français, qui se reconnaissent encore un sens religieux, se retrouveraient à l’aise dans la traditionnelle fête du 24 juin dénommée «Fête de la Saint-Jean-Baptiste».
Sinon, je ressens la confusion qui règne à propos de notre Fête nationale, confusion voulue ou non, entretenue volontairement ou non, comme un vol; comme si on détroussait une réalité en faveur d’une autre. En l’occurrence, il faudrait donc se poser la question: À quoi avons-nous affaire le 24 juin, à une affaire ou à deux affaires?
Je réponds: à un amphisbène! Ce mot signifie «deux voies» et il signifie aussi «aller». Donc: «double marcheur», «qui va dans deux directions» ou «qui marche des deux bouts». L’amphisbène est un animal mythologique réputé pouvoir se reconstituer lorsqu’il est coupé en deux et même être mis en pièces sans en mourir. Il aurait la particularité d’hypnotiser ses victimes grâce à l’éclat extraordinaire de ses yeux et il serait en mesure d’avancer aussi bien en avant qu’en arrière. Enfin, quand une tête dort, l’autre resterait éveillée pour faire le guet. Bref, c’est lui, l’amphisbène, qui me vient à l’esprit quand je contemple le topo général de la situation relative à la fête du 24 juin. L’Ontario se souvient de la francophonie canadienne alors que le Québec s’efforce d’intégrer sa néo-québécitude. Il suffit donc d’un brin d’imagination et de quelques demi-heures de réflexion pour trouver des applications cohérentes entre cette étrange bête et l’état actuel des choses, qui vont bien au-delà de ce qui est mis en lumière par Mgr Prendergast.
Dans ce contexte, je comprends un peu les organisateurs de la Fête nationale du Québec qui, pour l’année 2011, ont mis de l’avant la thématique de la légende galante Chasse-galerie. Ça ne saurait choquer personne, ce qui s’avère un grand avantage. Eh bien, moi, je suis un peu choquée malgré toutes ces précautions.
En annonçant le thème choisi pour le 24 juin 2011, un journaliste titrait: «La Fête nationale fait un pacte avec le diable». Je croyais qu’on avait renvoyé la religion à la vie privée des citoyens? Le diable, c’est religieux tout de même, et est-ce notre religieux à son meilleur? Pour me faire justice et faire justice à ceux qui ont réagi à ce choix tout comme moi, je propose que, pour contrer le pacte avec le diable auquel fait subtilement allusion le thème de La Chasse-galerie, on mette en évidence l’an prochain le miracle, ou la légende, ou le conte, ou l’histoire – choisissez le mot qui convient à vos options fondamentales – le miracle, dis-je, du «Pont de glace». Ce serait rafraîchissant, n’est-ce pas?
Je rapporte ici, en partie, des textes qui en font le récit, et je vous renvoie à ces sources pour plus de détails.
«En 1873, la population de Cap-de-la-Madeleine, en Mauricie, est d’environ 1 300 habitants. La petite église paroissiale ne peut contenir les paroissiens qui deviennent de plus en plus pratiquants. Il faut songer à construire une église plus grande. Mais les gens sont pauvres et le sol sablonneux du Cap ne contient pas de pierre. Pour raison d’économie, on envisage donc de démolir la vieille église (il s’agit du Petit Sanctuaire actuel) et d’en utiliser les pierres dans la construction de la nouvelle. […] Le curé Luc Désilets promet alors à la Sainte Vierge de lui consacrer la petite église si on peut transporter la pierre pour commencer la construction envisagée.»
«on devait aller chercher les pierres de l’autre côté du fleuve Saint-Laurent […] On attendait l’hiver pour traverser, mais l’hiver 1878-79 était beaucoup trop chaud, donc sans glace sur le fleuve. […] En mars 1879, la formation d’un pont de glace permettant d’acheminer les pierres sur le fleuve Saint-Laurent fut considérée comme un miracle; la chapelle fut conservée.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Basilique_Notre-Dame_du_Cap
En lisant ces textes, il m’est venu un grand rêve, que je vous partage. Ce serait coûteux? On en a pourtant les moyens; on a le Nord québécois après tout!
Alors, si le Québec veut du nouveau, voici mon rêve:
Une vingtaine de bateaux allégoriques partiraient du Cap-de-la-Madeleine, traverseraient le fleuve à l’endroit qui évoque le «Pont de glace» pour aboutir au petit village où on allait chercher des pierres pour les rapporter de ce côté-ci du fleuve. On construirait donc une nouvelle église tout en gardant comme un trésor national l’église primitive.
En tête de ce cortège, un magnifique canot; à la proue, Kateri Tekakwitha, cette algonquine-iroquoise reconnue bienheureuse par l’Église catholique, pour rappeler d’abord les «premières nations» et faire un petit clin d’œil, en passant, aux organisateurs de la Fête nationale du 24 juin, édition 2011! Ensuite arriverait, à mi-chemin entre une embarcation légère et un destroyer, question de marquer l’évolution, un de ces bateaux rehaussé d’une croix disposée avec art pour rappeler Jacques Cartier; on pourrait ici faire bonne mémoire du fait que l’étendard qu’il déployait en 1534 portait dans ses replis le projet du roi de France d’établir une chrétienté en ce continent. Puis, une suite d’autres embarcations thématiques: on pourrait s’inspirer de notre devise, de nos écussons, de nos armoiries, de nos drapeaux. Quels trésors d’art, porteurs d’histoire, porteurs de sens!
La parade fluviale dont je rêve partirait donc du Cap-de-la-Madeleine en grande pompe, sous les yeux ébahis des riverains et des touristes, et de toute la gent en fête. Ce serait un aller et retour évoquant l’histoire du «Pont de glace» de Trois-Rivières. Le climat ambiant serait préparé la veille par un fabuleux feu d’artifice multicolore dont les pièces pyrotechniques se renverraient d’une rive à l’autre des messages pour un bel avenir.
Quelle fête pour tous les partis politiques: les Vert, Bleu, Orange et Rouge, et autres plus métissés…! Cela ne veut pas dire que je souhaite que tous les partis au Québec se fondent en un seul, on risquerait une dictature, mais bien que tous les partis éradiquent de leurs procédés tout ce qui serait de mauvais goût ou de mauvaise guerre.
Esther Martelle
Vraiment j’aimerais participer à votre « fête du Québec ». Pourquoi ne pas y ajouter des activités préparatoires aux festivités dans les quartiers des deux rives. Je suggère que les organisateurs de ces fêtes de quartier invitent les collaborateurs du site «Tendances et Enjeu ». Leur objectif: présenter les pans de notre histoire qui sont oubliés dans l’histoire officielle qui circule dans nos écoles et journeaux. Quant à la pédagogie, votre imagination débordante trouvera certainement une formule inédite et appropriée.
Oui, ça nous ferait du bien peuple canadien, français ou non, de nous souvenir de nos origines, de l’histoire de notre drapeau, des actions de la Providence au cours de notre épopée enfin de tout ce qui est présenté dans les articles, blogues et commentaires du site. Une fois par année, pour ne pas perdre de vue notre identié véritable ou la trouver. Cette fête pourrait, avec le temps, prendre tellement d’importance que l’on viendrait de partout au Canada pour célébrer ces moments d’histoire, fondement de ce que nous vivons dans notre beau pays. L’abondance, la paix, le respect dont nous bénéficions sont les conséquences de ces actes de foi courageux de ceux et celles qui nous ont précédés et de ceux et celles qui aujourd’hui encore sont conscients des enjeux profonds. Tous ceux qui vivent au Canada profitent de ces avantages sans nécessairement connaître ou accepter leur source.
Peut-être qu’à la longue, une tradition s’établierait, aussi forte que chez le peuple juif qui à chaque année, se rappelle les merveilles opérées par Yahvé pour son peuple. Et, en passant, croyants et incroyants participent à cette célébration de la pâque juive amorcée par le questionnement d’un enfant.
En attendant, continuer de rêver, ça fait du bien à vos lecteurs.