Depuis des décades au Québec, on fait croisade contre les croix: celles des écoles d’abord, et puis toutes les autres. En fait on en a contre tout ce qui, ayant forme de croix, tombe malencontreusement sous le regard, particulièrement s’il y a quelqu’Un dessus.
Lors d’un séjour à l’étranger, un Canadien français québécois logeait dans l’appartement voisin du mien. Nous avons jasé de tout puis de rien. Finalement, je ne sais par quel biais, il me dit tout de go, non sans un petit air intello, que lui, il ne pratiquait plus. Quelques semaines plus tard, je le surpris sortant avec sa dame d’une église des environs au moment où la messe du dimanche venait de prendre fin. Je le sondai avec le plus de tact possible — j’espère que je n’avais pas mon petit air sceptique…. Un peu mal pris dans sa contradiction, il tenta de m’exposer sa pensée sur le sujet : «Chez nous au Québec, la messe du dimanche, ça fait partie du patrimoine, c’est un aspect important de notre culture; aussi je n’hésite pas à me présenter à cette célébration de temps à autre.» On aurait dit que ça ne sortait pas de sa propre tête. Il était comme ivre d’un endoctrinement capiteux!
Étrange, naguère on était dans la culture du cultuel; aujourd’hui, c’est le culte du culturel: tout ce qui est culturel est IN, tout ce qui est cultuel est OUT, même s’il est culturel. Allez donc y comprendre quelque chose!
Il fallait, selon lui toujours, enlever tous les signes religieux des espaces publics pour ne pas choquer ceux qui ont d’autres Credo que le sien. C’est ce qu’on appelle la sécularisation. Tout ce qui touche à tous doit respecter la neutralité.
Il n’est pas obligatoire d’être une personne athée pour penser ainsi. En fait, ils sont rares les vrais athées à protester contre les effractions à cette règle. Les vrais athées sont souvent discrets, ils intériorisent leur croyance en la non-croyance avec dévotion et partagent avec un petit groupe sélect — des salons plus ou moins secrets — leurs considérations subtiles sur le néant. Cela ne veut pas dire qu’ils ne cherchent pas de mille manières à influencer le grand public!… Ils le font de façon circonspecte et profitent de l’air du temps: ainsi la Révolution tranquille a fait sa part à leur grand avantage! À moins que ce ne soient eux qui en aient pensé les principes?…
Ah! La sacro-sainte neutralité! Mais au fond, existe-t-elle cette neutralité des bien-pensants? Quand on sent monter en soi un mouvement puissant de dénonciation pour raison d’État en voyant une croix, surtout un crucifix exposé dans un lieu public, on n’est pas neutre; ce qui est neutre, par définition, ne réagit pas. Alors il y a d’autres mobiles ou motifs qui agissent et portent ces «militants neutres» (c’est de l’ironie, là!) à monter aux créneaux à tout moment pour extrader Dieu lui-même de la sphère publique via l’exclusion des symboles qui évoquent son existence.
Ou s’agit-il tout simplement de l’éthique de tout bon citoyen, farouche défenseur de l’air sec, immobile et insensible de la sécularisation? Les seules enseignes qui prétendent au goût du jour, ce sont les immenses panneaux publicitaires qui ont une demeure saisonnière au-dessus de moult petits buildings… pas de problème… des petites culottes, soyeuses, de toutes les couleurs, de plus en plus petites, soyeuses et pas chères! Ne rien trouver à redire là-dessus, c’est avoir un esprit ouvert; c’est un type de civisme. Léon Chancerel entrevoyait déjà ce nouveau monde : Un «siècle dur et prompt qui hait l’amour. Et où il ne s’agit plus que d’acheter et de vendre. Et de jouir, entre deux marchés, de son gain.»
Ah, le civisme! La charité civile en quelque sorte… Et respecter ceux qui appuient les valeurs évoquées par les symboles religieux ne serait-ce pas un genre supérieur de civisme de la part de la laïcité? Mais il s’agirait alors d’un civisme très désintéressé. La vraie charité-civisme ne devrait-elle pas chercher le bien de l’autre avant le bien de soi? Tous ces idéologues pointus défendent le bien de qui? Le bien «public» avec des convictions «privées»? Car ce sont finalement les convictions privées des idéologues qui définissent l’ordre public. On tourne en rond, ma foi!
Savez-vous que, de douce mémoire, le maire Doré de Montréal avait, durant son mandat, proposé au Conseil Municipal qu’on n’illumine plus la Croix du Mont-Royal, soi-disant par souci d’économie? Voir si la Ville ne paie pas des dépenses plus frivoles, selon le goût de qui l’on protège! Et pas de référendum sur la question, il suffit d’avoir été élu au suffrage universel pour se permettre une telle délinquance!
Comme celle-ci encore : le maire Bourque n’a-t-il pas promené un dragon dans les rues de la ville? Une sorte de signe des temps, si on me comprend bien! Ça, ce n’est pas choquant? Un gros dragon par-ci par-là, ce n’est pas un symbole religieux, ça? Et ça ne coûte rien, ça? La sécularisation s’en accommodera, elle a d’autres chats à fouetter!
Mais…mais…mais… mystère de la justice, on assiste au retour de la croix au Québec et même au Canada tout entier! Eh oui, son excellence Mgr Gérald Cyprien Lacroix …oui, Lacroix… vient d’être installé au siège primatial de Québec: il sera de ce fait le Primat du Canada, comme le dit textuellement un journal que j’ai feuilleté récemment. Qui aurait pu prévoir un coup si bas de la part de la Croix. Ce La Croix-là, on ne pourra pas l’éteindre sous prétexte d’économie; il est illuminé d’En-Haut! Celui qui est mort sur une croix l’avait prédit: «Détruisez ce corps et, en trois jours, je le rebâtirai».
Et si, en réaction à ces fanatiques qui bannissent les symboles religieux des eaux territoriales publiques, on posait sur le linteau de sa porte le signe religieux représentant sa communauté de foi? On serait à la limite du public et du privé. Pourraient-ils, ces fanatiques, survivre? Bien pris qui croyait prendre! S’ils se sentaient trop inconfortables, les pauvres, ils pourraient tout simplement faire comme ceux qui ont peur des chiens : pour sublimer cette névrose, traverser la rue à la vue du danger et laisser tranquilles ceux qui n’ont pas peur des symboles religieux. Ça, c’est la vraie liberté. Si les initiés à certains idéaux les imposent à tous, qui est libre?
Tiens, il y a un commencement à tout! Moi, à partir du Vendredi saint 2011, j’aurai une petite croix sur le linteau de ma porte… J’ai aussi un chien…
Joyeuses Pâques à toute la gent canadienne, «d’un océan à l’autre»!
Esther Martelle
Madame Martelle,
Je me souviens d’une jeune collègue de travail, attirée par la culture amérindienne. Sa générosité naturelle était fascinante, toujours prête à aider tout le monde. Encore à l’étude, elle passait une partie de ses étés dans le nord, venant en aide aux Amérindiens. Oui, c’était payant bien sûr. Elle pouvait se ramasser un peu de sous pour ses études. Mais je sentais en elle un réel désir de les aider, d’apprendre leur culture et leurs mœurs. Elle était revenue de là-bas avec une petite tortue qu’elle trainait avec elle tout le temps. Je lui ai demandé ce que signifiait cet animal pour elle. Elle avait appris des Amérindiens que cet animal la protégerait. Dans la culture amérindienne, chaque personne se choisit un animal qui l’accompagne tout au cours de sa vie. Cela porte à réflexion. Je me suis dit : De nos jours, nous faisons passer pratiquement à la légende l’événement historique de la venue du Christ sur notre terre et les «prodiges» qu’il a accomplis, le prenant parfois pour un simple magicien. L’enseignement de la doctrine chrétienne, telle qu’elle nous est transmise par les Évangiles et l’Église ne se retrouve plus dans nos écoles mais celui-ci est remplacé graduellement par des légendes incitant les jeunes à vénérer un petit animal plutôt que la croix. La vision de la nature dans la spiritualité amérindienne faisait ressortir certains éléments de la création et du Créateur (le Grand Esprit). Mais la nature humaine du Christ, symbolisée par la croix, est bien au-delà d’un petit animal même si celui-ci fait partie de la Création. N’est-il pas plus rassurant de confier son sort au Christ plutôt que de le confier à la nature animale?